jeudi 21 juin 2012

La rivalité Canadien-Senators ne verra jamais le jour - L’étrange stratégie marketing des Senators d’Ottawa

Les Senators d’Ottawa ont offert une prestation remarquable dans les séries éliminatoires de 2012. Ils ont forcé un septième match dans la série qui les opposaient aux puissants Rangers de New York, les champions de la saison régulière. Les Senators n’ont perdu cette série que par un seul but. Au delà de la performance, c’est la tenue de l’équipe qui était éblouissante. Une équipe que les experts voyaient unanimement hors des séries en début de saison, les Sens ont donné le ton au match et joué du hockey inspiré et excitant, guidés par leur capitaine, Daniel Alfredsson. Ce vénérable Suédois se dirige tout droit au Temple de la renommée du hockey après sa brillante carrière qu’on souhaite qu’il prolongera d’une autre année. 

Pour la première fois, on a senti que le Québec se rangeait derrière les Senators. L’équipe dispute pourtant ses parties dans une ville qui n’est qu’à un peu plus de deux heures de route de Montréal. Les Senators n’ont jamais réussi à attirer la sympathie des Québécois hors de la région outaouiaise ni à développer une quelconque rivalité avec le Canadien.


La rivalité entre les Sens et les Maple Leafs est pourtant très forte. On appelle les six rencontres au calendrier régulier entre les deux équipes «les batailles de l’Ontario». Géographiquement, Toronto est beaucoup plus loin que Montréal. La direction des Senators semble toujours avoir eu un malaise envers le public francophone et elle semble préférer sacrifier le potentiel attrait que les Senators pourraient avoir auprès du public francophone pour ne pas froisser la portion anglaise de ses fans.


Un accueil poli, au mieux

Les Senators ont bien tenté de profiter de l’attrait qu’une vedette francophone pourrait avoir auprès du public québécois à leur deuxième saison dans la Ligue en 1993 en repêchant Alexandre Daigle au tout premier rang du repêchage cette saison. Daigle a connu une carrière de plus de 600 matchs dans la Ligue, mais il n’a jamais connu le succès escompté. Il a constitué une grande déception pour les partisans des Senators. Cet échec a pu contribuer au désenchantement de l’équipe envers les joueurs de la Ligue junior majeure du Québec car l’équipe avait fait des efforts pour repêcher des francophones à ses débuts. À ces trois premières saisons, Ottawa a repêché 8 joueurs de la LHJMQ parmi les 35 joueurs qu’elle avait sélectionnés.

Cette tendance ne s’est pas transportée au-delà de ces saisons et l’appui aux joueurs francophones a graduellement chuté pour devenir insignifiant. Depuis la saison 2001, les Senators ont sélectionné 89 joueurs au repêchage amateur. Seulement quatre provenaient de la LHJMQ, dont un est le Russe Ruslan Bashkirov qui jouait sous les ordres de Patrick Roy avec les Remparts de Québec. Le pourcentage de joueurs de la LHJMQ repêchés par l’équipe depuis cette année est donc de 4,5% alors que cette ligue évolue à quelques pas de l’aréna des Senators.


Les Senators ont repêché 20 joueurs de LHJMQ depuis leur retour dans la LNH en 1993 sur les 178 qu’ils ont sélectionné, soit un pourcentage de 11,2%, un chiffre bien en-deça de plusieurs autres équipes qui sont géographiquement éloignées du Québec et dont les spectateurs ne parlent pas la langue ou constituent un pourcentage intéressant des gens qui achètent les billets pour assister aux matchs.


L’ère Pierre Gauthier

L’ex-DG du Canadien, Pierre Gauthier, a occupé le même rôle pour les Senators pendant environ trois saisons. Les partisans du Canadien ont beaucoup reproché au règne Gainey-Gauthier de tourner le dos aux francophones, mais qu’en était-il du fait français sous la direction de Gauthier avec les Senators?

Gauthier, qu’on a déjà qualifié d’anglophile sur ce blogue, n’a fait ni mieux ni pire que la tendance générale adoptée par les Senators. Il était DG des Sens lors des repêchages de 1996, 1997 et 1998. L’équipe a repêchée 25 joueurs sous son règne dont Chris Phillips (1er au total) et Marian Hossa. Parmi les joueurs repêchés, quatre provenaient de la LHJMQ, soit 16%, un peu mieux que la moyenne historique de l'équipe. Un seul de ces joueurs, le gardien Mathieu Chouinard, a disputé un match dans la LNH. L’équipe a levé le nez sur Daniel Brière (comme le Canadien d’ailleurs), Steve Bégin, Mathieu Garon et Éric Bélanger en 1996. En 1998, ils auraient pu mettre la main sur Simon Gagné, Mike Ribeiro, Brad Richards (qui jouait pour Rimouski dans la LHJMQ), François Beauchemin et, le comble, Michael Ryder, un anglophone qui jouait à un jet de pierre de l’aréna des Senators avec les Olympiques de Hull et que le Canadien a repêché au 216e rang (8e ronde).

L’oubli de Ryder montre bien le peu d’intérêt que portait l’équipe de Gauthier aux joueurs provenant de la LHJMQ. Cela dit le Canadien n'a guère fait mieux après le départ de Serge Savard à la haute direction, mais les amateurs leur ont reproché de nombreuses fois alors que les fans des Senators n’ont jamais émis de critiques.

La délicate question linguistique
Alors comment expliquer la stratégie marketing des Senators qui n’ont rien fait pour attiser la rivalité entre leur équipe et le Canadien? Ils ont tout à gagner à séduire le public francophone et à rogner une part de la vaste clientèle francophone du Canadien. D’autant plus que le public du Canadien vivait une période de profond mécontentement envers la direction de l’équipe.

La réponse se trouve un peu dans la situation géographique de la ville. À cheval sur les frontières de l’Ontario et du Québec, la ville a toujours une relation délicate envers les tensions linguistiques. La population de la ville travaille en grande partie pour le Gouvernement du Canada. Elle est donc fédéraliste d’emblée. Le Canada est officiellement un pays bilingue, mais travailler pour le gouvernement fédéral sans parler anglais est pour le moins compliqué. La population francophone de la région est habituée à parler anglais dans la plupart des activités communautaires comme le travail ou les services qu’on lui offre. Elle est donc traditionnellement très tolérante et le français cède souvent le pas à l’anglais sans heurts apparents.

Un contexte historique conservateur
Historiquement, la région sud-est de l’Ontario a constitué le berceau des Orangistes du Canada, un mouvement protestant et anglophone qui voue loyauté à la Reine du Canada. Le mouvement est né au début du XIXe siècle à Brockville, une ville près de Cornwall. Ces loyalistes se sont implantés en grand nombre dans la région des Milles-Îles, au nord-est du Lac Ontario. Beaucoup d’entre eux étaient des supporteurs farouches de l’Angleterre qui s’y étaient réfugiés pour se protéger du mouvement de l’indépendance américaine. Bien sûr, ils se sont aussi installés à plusieurs autres endroits au Canada, mais ils comptaient pour une importante partie de la population de cette partie de l’Ontario en bordure du Québec. Ils constituaient une partie importante de la population canadienne dont le pouvoir était évident.

On peut même affirmer que, sans les Orangistes, le Canada n’existerait probablement pas. D’ailleurs, plusieurs premiers ministres canadiens étaient orangistes dont John Diefenbaker et John A. Macdonald, un des pères fondateurs de notre pays. Le mouvement n’a pas toujours été sans reproches et on lui prêté certaines associations racistes dont une avec le célèbre mouvement du Klu Klux Klan. Il faut nuancer, mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce mouvement influant était très conservateur et peu tolérant. L’histoire explique donc un peu la relation linguistique fragile que vit la population francophone aux abords de la frontière ontarienne.

Et ensuite?
La direction de l’équipe de hockey n’a pas à s’immiscer dans la politique. Ce n’est pas son rôle. Cette situation délicate l’empêche quand même de profiter d’une clientèle d’amateurs friands de hockey en créant une rivalité avec le Canadien. Les Nordiques ont grandement profité de celle-ci. Leur disparition a créé un vide chez les francophones déçus du CH et Dieu sait qu’ils étaient nombreux récemment. La nomination de Marc Bergevin et de sa nouvelle équipe de direction a probablement rendu caduque toute tentative de séduction du public francophone pour un moment et les Senators ont probablement raté le «timing» parfait pour faire fondre la masse des partisans du Canadien. De plus, le retour probable des Nordiques rendrait l’opération séduction des francophones périlleuse pour l’équipe d’Ottawa. Alors pourquoi risquer de déplaire à sa clientèle anglophone? Le choix des Senators se fait entre une population traditionnellement très tolérante et l’autre qui défend vigoureusement ses privilèges. À ménager la chèvre et le choux, on craint que cette rivalité ne naisse jamais.

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